Même si il fut aussi utilisé pour nommer un voilier traditionnel bien adapté à la pêche côtière et au cabotage, le terme "chasse-marée" désignait initialement un métier.
Il évoquait les transporteurs routiers (et leurs attelages) qui acheminaient les produits de la pêche vers les lieux de consommation, d'où l'autre appellation de "voituriers de la mer".
On retrouve ce nom dès 1350 dans une ordonnance rendue par Jean II " en faveur des Chasses-marées contre les pourvoyeurs des maisons du Roi, de la Reine et des princes qui arrêtaient ces forains, qui prenaient le poisson destiné à Paris ".
La pratique a duré plusieurs centaines d'années jusqu’au milieu du XIXᵉ siècle. Elle a battu son plein du 16ème au 19ème siècle.
Des ports de pêche de la Manche (Boulogne, Étaples, Saint Valéry, Dieppe ...) partaient des attelages lourdement chargés de poissons frais qui filaient vers Paris qu'ils rejoignaient en moins de vingt-quatre heures.
Les attelages étaient généralement composés de quatre chevaux attelés par paire et d'une charrette montée sur deux roues hautes. L'ensemble (poissons, charrette) pouvait peser jusqu’à 3 500 kg.
Les cochers qui menaient ces voitures "chassaient devant eux" un ou plusieurs chevaux, d'où le nom de chasse-marée.
Les chevaux étaient changés dans des relais de diligences après un galop effréné de plusieurs dizaines de kilomètres, pour continuer la course vers un autre relais.
Il fallait de puissants chevaux, endurants, robustes tels les "Boulonnais" et les "Traits du Nord".
Pour éviter toute perte de temps, le voiturier livrant Paris bénéficiait d’une priorité sur les autres véhicules. Les chevaux étaient pourvus de clochettes afin d'avertir les villageois du passage imminent du chasse-marée.
Une tour de guet, placée près des relais, permettait à l'aide d'un cor, d'annoncer l'arrivée des attelages afin que le personnel se tienne prêt pour le changement de chevaux.
A l'époque les moyens de conservation étaient rudimentaires. Le poisson était enveloppé d'algues, de fougère, de foin ou de paille, le tout recouvert d'une grande bâche. Les charrettes ainsi chargées prenaient la route pour une équipée plus que périlleuse.
En effet le transport du poisson n’était pas facile : les droits de passage étaient souvent excessifs, l’état des routes laissait à désirer, le brigandage était pratique courante et les accidents étaient fréquents, car les chasse-marée roulaient très vite : il fallait que le poisson soit livré à Paris le plus rapidement possible.
L'épopée des Chasse-marée a inspiré Jean François Battez, Auteur Compositeur Interprète d'Amiens qui lui a consacré une magnifique chanson que je vous propose de découvrir.
Voici les paroles, qui résument toutes les péripéties de ce dur métier !
Jean de Boulogne de Jean François Battez
extrait de l'album "Entre le ciel et l'eau"
Retrouvez cet artiste sur son site : http://www.lalalala.fr
extrait de l'album "Entre le ciel et l'eau"
Retrouvez cet artiste sur son site : http://www.lalalala.fr
Je suis Jean de Boulogne, Chasse-Marée de Picardie si fier de ma besogne mener du poisson à Paris.
Sans un instant de trop, moi je n’ai qu’une seule journée pour atteindre au triple galop la porte au Faubourg Poissonnier.
Sur mon chariot j’ai vingt quintaux de
pichons frais de la marée, par le devant cinq chevaux les plus beaux des
grands Boulonnais.
Monté en croupe pour mieux conduire, je
sais pousser, je sais freiner, je sais les pentes où l’on chavire, j’y
vais la nuit les yeux fermés.
Holà ! Garez-vous donc ! Chasse-marée de Picardie ! Holà ! Garez-vous donc ! On m’attend à Paris !
Je suis fils de charretier et tant de
fois j’ai vu mon père faire ces chariots, ces grands paniers, arcs
tendus pour fendre l’air.
Que l’idée m’est venue, d’en devenir le maître, fils de charretier, Chasse-marée, c’est ainsi que dieu m’a fait naître.
J’ai débuté enfant par les chemins pierreux, petit mouilleur de frein, je n’étais pas peureux
Tant y’a des bosses et des cahots où des
carrosses feraient des tonneaux, tant y’a des rues et des ornières où
des charrues casseraient leur fer.
Holà ! Garez-vous donc ! Chasse-marée de Picardie ! Holà ! Garez-vous donc ! On m’attend à Paris !
A quatorze ans, j’ai pris la selle, seigneur de ma folle équipée aux grandes larmes des pucelles qui me voyaient déjà tomber.
Car les chemins en ont tués bien des gaillards de mon pays morts sous la roue, sur le pavé, au péché de s’être endormi.
Des yeux des gueuses je n’ai que faire
aux relais où je prends chevaux car moi ma mie c’est la crinière qui
vient me caresser le dos.
Et j’ai sur moi l’odeur du vent parfum
des fées, filles des bois que j’aperçois de temps en temps flottant sur
l’ombre qui nous noie.
Holà ! Garez-vous donc ! Chasse-marée de Picardie ! Holà ! Garez-vous donc ! On m’attend à Paris !
Un jour j’ai failli chavirer par trop de routes dans le mois, las je me suis mis à rêver qu’un poète vantait mes exploits.
« En ce temps-là, la Picardie allait du Tréport en Calaisis et des hommes au prix de leur vie montaient le poisson à Paris.
Sorti de la Manche à minuit, grillade à
Montmartre à midi, mais quels grands mages ont fait ceci ? Les
Chasse-marée de Picardie ! »
Et sous les cris et les bravos, un hennissement m’a rappelé, j’allais glisser sous le tombereau mon cheval m’avait réveillé.
Holà ! Gare à toi donc ! Chasse-marée de Picardie ! Holà ! Gare à toi donc ! Et tant pis pour Paris !
Alors j’aimerais que le poète ajoute un
vers à nos mémoires pour dire que les chevaux, en fait... bien plus que
nous ont fait l’histoire.
L'activité des Chasse-marée" prit fin au milieu du 19eme siècle avec l'avènement du chemin de fer qui permit de transporter beaucoup plus rapidement les tonnes de poissons vers la capitale.
De nos jours la "Route du Poisson" honore la mémoire des Chasse-marée et remet sur la route attelages et équipages.
C'est une manifestation sportive et populaire d'attelage équestre.
Créée en 1991 à l'initiative du haras de Compiègne, cette course d'endurance de 24 heures est organisée en septembre pour relier Boulogne-sur-Mer à Paris.
Se déroulant tous les deux à trois ans, la Route du Poisson est devenue la plus grande course par relais d'attelages de chevaux de trait organisée en Europe. Son succès populaire est allé croissant. En 2005, on comptait plus de 300.000 spectateurs tout au long de la Route.
En septembre 2012 la course a traversé Equihen.
Un attelage en haut de la rue Edmond de Palézieux
A l'heure où j'écris cet article le tracé 2014 de la course n'est pas encore connu. Rendez vous dans les prochains mois sur www.laroutedupoisson-ap3c.org pour en savoir plus.
Article publié par Yves